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Eric Baradat : Entretien avec un formateur dans l'âme - 1

France

mardi 26 décembre 2017 - © François Dasriaux

 5 min 47 de lecture

Champions du Monde en senior, Champions du Monde en – de 19, médaille de Bronze en – de 21 pour les Masculins. Championnes du monde en senior, championnes d’Europe en – de 19, demi-finalistes de l’Euro en – de 17 !  2017 ressemble à une année magique pour le handball français.

Depuis des années, la formation française des jeunes handballeurs est louée de par le monde. Initiée par le légendaire Maurice Porte, institutionnalisée par Daniel Costantini avec la mise en place des pôles de formation. Elle est aujourd’hui le socle indéfectible des résultats du handball tricolore. Pourtant de ci et là certaines voix se font entendre qui parfois remettent en question la dogma nationale au profit des expériences et théories utilisées dans d’autres pays.

Pendant une semaine, nous vous livrerons un entretien avec Eric Baradat, celui qui gère, supervise et organise la formation des jeunes joueuses française depuis la dernière olympiade et qui se pose en permanence des questions sur comment, pourquoi et avec qui. Entretien en 3 volets à chaque fois sur un sujet différent

Enclenchement ou lecture, le débat
Eric, on assiste depuis quelques années à une opposition de style dans le jeu à très haut niveau. Entre les nations qui privilégient la passe et la lecture à ceux qui mettent en avant les capacités de gagner les duels. Est-ce une bataille obligée où ne peut-on pas envisager un rapprochement de ces deux modes de formation ?
Pour ma part il n’y pas d’opposition entre ces formes car il faut toujours se mettre en situation de gagner les duels et surtout mettre aussi ses partenaires en situation de les gagner. A la sortie du duel, il faudra être en capacité de lire la situation générée pour décider de son prolongement.


La fameuse opposition entre « jeu enclenché » et « jeu par initiative individuelle » est pour moi un débat dénué de sens dans la formation vers le haut niveau. A la question « fromage ou dessert », la réponse est selon moi « fromage et dessert ». Les deux doivent se conjuguer pour que nos joueuses se construisent dans des formes qui développent culture tactique et plasticité technique. Au nom de quoi devrait-on se résoudre à n’utiliser exclusivement qu’une forme?  La joueuse se construira d’autant plus richement qu’elle saura jouer dans une alternance entre « initiative individuelle », laquelle appelle une adaptation collective à cette initiative d’une part, et « jeu enclenché » (plusieurs courses initiales possibles sont programmées mais pas la circulation de la balle, qui elle varie en fonction de la réponse défensive perçue) lequel appelle l’adaptation individuelle permanente. 

Donc, pas de choix dans la formation, il faut proposer les deux solutions ?
Je ne partage pas l’idée de la prédominance ou de la noblesse supérieure de l’une des formes sur l’autre dans la formation de la jeune joueuse. Je crois fondamentalement à l’aller-retour entre les deux dans la formation, et à l’utilisation des deux dans le haut niveau dans des proportions dictées par le profil des joueuses et leur compatibilité technicotactique.

«Jeu libre » et « jeu en lecture » sont d’ailleurs des termes impropres, car la liberté dans le jeu comme ailleurs, se lie à la capacité de choix, ce qu’offre le jeu par enclenchement, s’opposant justement au jeu par combinaison, lequel prédétermine simultanément la circulation des joueuses et de la balle. La liberté est une notion qui en sport collectif fait aussi référence à la responsabilité vis à vis des coéquipières quant au maintien de la possession de la balle et de son utilisation efficace. Il y a toujours un équilibre à préserver pour que la prise de risque individuelle absolument nécessaire dans le jeu, ne se réduise pas à une initiative égoïste et dénuée de sens pour le collectif. Le souci de la continuité du jeu est primordial.
 
Dans les 2 formes, enclenchée collectivement ou à base d’initiative individuelle, la « lecture de jeu », c’est à dire l’analyse pertinente et instantanée du rapport de force, sera nécessaire et se développera, à la condition sine qua non, de permettre à la jeune joueuse de construire la reconnaissance des signaux pertinents et signifiants à prendre en compte dans la situation, pour adapter et réajuster en continu, ses intentions et les réalisations motrices qui en découlent. Sur quel indice clé devra-t-on porter systématiquement son attention? C’est bien là que l’expertise du cadre s’exprimera et c’est là qu’elle fait souvent logiquement défaut  



Donc, on parle d'adaptabilité aux situations, mais comment rester quand même dans le projet collectif ?
Jouer l’esprit clair dans le désordre généré par la situation, demande de faire émerger quelques repères collectifs précis, et le pivot en est un que notre formation au féminin néglige trop souvent à mon goût… Pour moi, elle est à la fois le « phare » de l’attaque et une meneuse au sein du dispositif adverse. C’est plus qu’une simple « joueuse en appui » telle que souvent définie, si on a l’ambition de développer de l’intelligence situationnelle ! Le pivot est certes là pour couper la défense en deux mais c’est une vision par trop réductrice: il est aussi là pour poser des problèmes de répartition défensive en conjuguant ses déplacements avec ceux du ballon et des partenaires à la périphéries. Cela augmente considérablement le volume d’action qu’on va exiger de lui, tant à l’intérieur de la défense qu’à la périphérie! En pensant le jeu avec des entrées et des sorties du dispositif défensif, on évolue plus vers une fonction que vers un poste et donc on convoque les notions de polyvalence et de jeu sans ballon plus importants, lesquels sont à mon avis l’avenir de ce jeu au féminin.

De manière générale “lire” une situation dans le désordre du jeu, est une compétence qui ne se développe pas juste en mettant une situation de jeu à effectif réduit en place, et en laissant faire comme certains voudraient nous le laisser croire depuis trop longtemps. Il faut bien sûr pour le formateur, jouer sur les paramètres de la situation pour la complexifier ou la simplifier, mais aussi et surtout être capable de détecter ce que la jeune joueuse en perçoit et les causalités (ndlr : les causes et les effets) entre sa perception et sa réponse motrice, mais aussi parfois entre son organisation motrice et sa capacité de perception. Motricité et perception sont réciproquement au service l’un de l’autre.

C’est à chaque fois un chemin pédagogique ambitieux et singulier, qui supporte mal les analyses réductrices car il croise aussi le profil psychologique de l’individu, qui elle a envie d’être, de devenir sur un terrain. Il faut toujours avoir ce filtre à l’esprit en formation de jeunes joueuses. 

A suivre : Les préconisations techniques, à quoi servent-elles ?

Eric Baradat : Entretien avec un formateur dans l'âme - 1 

France

mardi 26 décembre 2017 - © François Dasriaux

 5 min 47 de lecture

Champions du Monde en senior, Champions du Monde en – de 19, médaille de Bronze en – de 21 pour les Masculins. Championnes du monde en senior, championnes d’Europe en – de 19, demi-finalistes de l’Euro en – de 17 !  2017 ressemble à une année magique pour le handball français.

Depuis des années, la formation française des jeunes handballeurs est louée de par le monde. Initiée par le légendaire Maurice Porte, institutionnalisée par Daniel Costantini avec la mise en place des pôles de formation. Elle est aujourd’hui le socle indéfectible des résultats du handball tricolore. Pourtant de ci et là certaines voix se font entendre qui parfois remettent en question la dogma nationale au profit des expériences et théories utilisées dans d’autres pays.

Pendant une semaine, nous vous livrerons un entretien avec Eric Baradat, celui qui gère, supervise et organise la formation des jeunes joueuses française depuis la dernière olympiade et qui se pose en permanence des questions sur comment, pourquoi et avec qui. Entretien en 3 volets à chaque fois sur un sujet différent

Enclenchement ou lecture, le débat
Eric, on assiste depuis quelques années à une opposition de style dans le jeu à très haut niveau. Entre les nations qui privilégient la passe et la lecture à ceux qui mettent en avant les capacités de gagner les duels. Est-ce une bataille obligée où ne peut-on pas envisager un rapprochement de ces deux modes de formation ?
Pour ma part il n’y pas d’opposition entre ces formes car il faut toujours se mettre en situation de gagner les duels et surtout mettre aussi ses partenaires en situation de les gagner. A la sortie du duel, il faudra être en capacité de lire la situation générée pour décider de son prolongement.


La fameuse opposition entre « jeu enclenché » et « jeu par initiative individuelle » est pour moi un débat dénué de sens dans la formation vers le haut niveau. A la question « fromage ou dessert », la réponse est selon moi « fromage et dessert ». Les deux doivent se conjuguer pour que nos joueuses se construisent dans des formes qui développent culture tactique et plasticité technique. Au nom de quoi devrait-on se résoudre à n’utiliser exclusivement qu’une forme?  La joueuse se construira d’autant plus richement qu’elle saura jouer dans une alternance entre « initiative individuelle », laquelle appelle une adaptation collective à cette initiative d’une part, et « jeu enclenché » (plusieurs courses initiales possibles sont programmées mais pas la circulation de la balle, qui elle varie en fonction de la réponse défensive perçue) lequel appelle l’adaptation individuelle permanente. 

Donc, pas de choix dans la formation, il faut proposer les deux solutions ?
Je ne partage pas l’idée de la prédominance ou de la noblesse supérieure de l’une des formes sur l’autre dans la formation de la jeune joueuse. Je crois fondamentalement à l’aller-retour entre les deux dans la formation, et à l’utilisation des deux dans le haut niveau dans des proportions dictées par le profil des joueuses et leur compatibilité technicotactique.

«Jeu libre » et « jeu en lecture » sont d’ailleurs des termes impropres, car la liberté dans le jeu comme ailleurs, se lie à la capacité de choix, ce qu’offre le jeu par enclenchement, s’opposant justement au jeu par combinaison, lequel prédétermine simultanément la circulation des joueuses et de la balle. La liberté est une notion qui en sport collectif fait aussi référence à la responsabilité vis à vis des coéquipières quant au maintien de la possession de la balle et de son utilisation efficace. Il y a toujours un équilibre à préserver pour que la prise de risque individuelle absolument nécessaire dans le jeu, ne se réduise pas à une initiative égoïste et dénuée de sens pour le collectif. Le souci de la continuité du jeu est primordial.
 
Dans les 2 formes, enclenchée collectivement ou à base d’initiative individuelle, la « lecture de jeu », c’est à dire l’analyse pertinente et instantanée du rapport de force, sera nécessaire et se développera, à la condition sine qua non, de permettre à la jeune joueuse de construire la reconnaissance des signaux pertinents et signifiants à prendre en compte dans la situation, pour adapter et réajuster en continu, ses intentions et les réalisations motrices qui en découlent. Sur quel indice clé devra-t-on porter systématiquement son attention? C’est bien là que l’expertise du cadre s’exprimera et c’est là qu’elle fait souvent logiquement défaut  



Donc, on parle d'adaptabilité aux situations, mais comment rester quand même dans le projet collectif ?
Jouer l’esprit clair dans le désordre généré par la situation, demande de faire émerger quelques repères collectifs précis, et le pivot en est un que notre formation au féminin néglige trop souvent à mon goût… Pour moi, elle est à la fois le « phare » de l’attaque et une meneuse au sein du dispositif adverse. C’est plus qu’une simple « joueuse en appui » telle que souvent définie, si on a l’ambition de développer de l’intelligence situationnelle ! Le pivot est certes là pour couper la défense en deux mais c’est une vision par trop réductrice: il est aussi là pour poser des problèmes de répartition défensive en conjuguant ses déplacements avec ceux du ballon et des partenaires à la périphéries. Cela augmente considérablement le volume d’action qu’on va exiger de lui, tant à l’intérieur de la défense qu’à la périphérie! En pensant le jeu avec des entrées et des sorties du dispositif défensif, on évolue plus vers une fonction que vers un poste et donc on convoque les notions de polyvalence et de jeu sans ballon plus importants, lesquels sont à mon avis l’avenir de ce jeu au féminin.

De manière générale “lire” une situation dans le désordre du jeu, est une compétence qui ne se développe pas juste en mettant une situation de jeu à effectif réduit en place, et en laissant faire comme certains voudraient nous le laisser croire depuis trop longtemps. Il faut bien sûr pour le formateur, jouer sur les paramètres de la situation pour la complexifier ou la simplifier, mais aussi et surtout être capable de détecter ce que la jeune joueuse en perçoit et les causalités (ndlr : les causes et les effets) entre sa perception et sa réponse motrice, mais aussi parfois entre son organisation motrice et sa capacité de perception. Motricité et perception sont réciproquement au service l’un de l’autre.

C’est à chaque fois un chemin pédagogique ambitieux et singulier, qui supporte mal les analyses réductrices car il croise aussi le profil psychologique de l’individu, qui elle a envie d’être, de devenir sur un terrain. Il faut toujours avoir ce filtre à l’esprit en formation de jeunes joueuses. 

A suivre : Les préconisations techniques, à quoi servent-elles ?

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