Pendant une semaine, nous vous livrons un entretien avec Eric Baradat, celui qui gère, supervise et organise la formation des jeunes joueuses française depuis la dernière olympiade et qui se pose en permanence des questions sur comment, pourquoi et avec qui. Entretien en 3 volets à chaque fois sur un sujet différent
A relire : Enclenchement ou lecture, le débat
A relire : Les préconisations techniques, à quoi servent-elles ?
Les postes clé du handball dans la formation ?
En parlant plus spécifiquement des postes de jeu, qui au final sont dans la logique de formation. Pour les ailiers, on a un peu assisté à une généralisation du « jeu à 4 » aussi bien chez les filles que chez les garçons, excluant quasiment de la construction de jeu, les deux ailiers. Quand on sait que, par exemple, Claude Onesta a souvent dit que les deux génies du handball chez les masculins jouaient aux ailes (ndlr Michael Guigou et Luc Abalo). N’y a-t-il pas une vraie dichotomie dans cet état de fait ? Faire la liste des ailiers créateurs géniaux serait très longue. On peut citer en plus de ces deux-là, des Gensheimer, Isakovic, Juanin, Dembele, Herrem, Quintin, Riegelhuth, Nascimento, etc… la liste est plus que longue ! Peut-on envisager une autre façon de faire où l’explosion de ce type de joueurs et joueuses doit logiquement se faire plus tard ?
Ces joueurs et joueuses ont souvent logiquement évolué sur la base arrière dans leur formation et seuls leurs profils morphologiques moyens les ont amenés à rechercher une expression aux ailes, sans jamais renoncer à leur créativité et à leur volonté de peser sur le jeu. La morphologie est une chose, le profil de personnalité en est une autre…
Là encore je pense qu’il n’est pas impossible de réfléchir autrement, sortir du cadre de référence qui veut que l’ailière écarte au point de corner, et se tienne prête à finir l’action sur une éventuelle passe de décalage qui lui serait faite. Dans ma vision du jeu, il est plus opportun de répartir la charge offensive entre base avant et arrière par une augmentation du volume d’actions avec ballon des ailières et du pivot à la périphérie, mais aussi dans leur secteur, ce qui présuppose qu’on leur ouvre ces espaces. Réfléchir ainsi impacte bien entendu le jeu des arrières, mais aussi le volume de savoir-faire exigible d’une ailière de haut niveau !
Je n’ai, ici comme ailleurs, aucune certitude à faire valoir en la matière ! Seulement une sensibilité et des convictions d’entraîneur construite sur le temps, tirées de l’observation sur une longue durée de l’ensemble des sports collectifs et de leur évolution. Que ce soit en football, en rugby, ou en basket, la tendance est en permanence à une augmentation du volume d’actions individuelles et à une polyvalence de savoir-faire qui dépassent largement le cadre du poste tel qu’il était défini pendant des décennies… Il y a donc clairement dans notre discipline, matière à s’interroger sur le jeu de la base avant, ce qui de fait, changera l’expression collective et les formes globales de jeu. Les conséquences sur la formation ? Il est évident que si se mouvoir avec aisance dans les espaces réduits de l’aile est un art qui doit se développer tôt, favoriser l’utilisation par les ailières, d’une partie de l’espace habituellement réservé aux arrières, peut se faire aussi très tôt dans la formation. Cela nécessitera progressivement évidemment d’être conjugué avec des entrées en 2ème pivot et/ou avec des angles de course de la base arrière un peu inhabituels…l’attaque de balle juste avant la réception et le replacement juste après le lâcher de balle deviennent de fait fondamentaux dans cette réflexion… C’est donc un vaste débat car il convoque les notions d’alternance d’espaces attaqués, de timing de passe, de replacement sans ballon, de possible jeu en renversement, de maintien en temps fort offensif, de premier et deuxième temps de jeu offensif, donc de continuité offensive de manière générale ! Je pourrai y passer la nuit tant c’est le cœur de ma réflexion depuis des années et que le sujet me passionne, comme beaucoup de collègues probablement !!!!
Concernant les gardiennes et les gardiens. Chez les masculins, on a admis que le gardien était une, voire la, pièce essentielle des performances et du coup, il est extrêmement valorisé. Chez les filles, cela semble beaucoup plus compliqué à établir au niveau des jeunes et on en arrive parfois à voir des impositions incompréhensibles pour le commun des formateurs. Comme obliger la gardienne à être dans le même temps de jeu joueuse et gardienne ce qui plombe évidemment l’évolution technique des jeunes fortement engagées sur ce poste. Quel est ton regard sur ce poste si spécifique ?
Sur cette question j’ai un regard très simple et connu de tous puisque je suis l’instigateur d’une préconisation qui fait débat sur les Intercomités féminins, laquelle propose de faire évoluer une joueuse alternativement dans le champ et dans les buts. Le constat est simple en féminines : vont dans les buts généralement dans les équipes de jeunes filles, des profils de joueuses peu valorisées sur le champ, peu mobiles, peu enclines à courir, etc…bref souvent les profils les moins sportifs ! De cette population, il faudrait extraire les profils les plus prometteurs pour intégrer les pôles et plus largement pour renouveler le poste à haut niveau ? C’est une blague…D’un autre côté, non par manque d’intérêt, mais parce qu’il y a risque de se faire “emprisonner” exclusivement sur ce poste si jamais on y montre des qualités, celles qui ont le plus d’aptitudes pour y briller s’en détournent généralement chez les plus jeunes. Je voudrais favoriser le passage non exclusif sur le poste des jeunes filles avec des qualités physiques et motrices. Il est légitime pour les meilleures 12-13 ans d’avoir envie de courir sur le terrain et de marquer des buts! Pourquoi notre système ne favorise-t-il pas le passage de ces filles à fort potentiel dans les buts sur un tiers-temps ou une mi-temps? Parce qu’on fait de la spécialisation précoce, comme s’il s’agissait d’un sport différent… Cela n’empêcherait pas les profils moins sportifs qui y ont trouvé refuge de continuer à y jouer, mais pas à plein temps.
On m’objecte souvent que pourtant la France depuis Valérie Nicolas jusqu’à Laura Glauser, en passant par Amandine Leynaud et Cléopâtre Darleux, dispose de bonnes gardiennes de niveau international. C’est tout à fait exact et le Mondial vient de nous le confirmer. L’exception confirme la règle. Elles sont les parfaits contre-exemples de ce que notre système génère globalement, car elles sont des filles avec des qualités motrices et physiques au-dessus de la norme qui ont immédiatement été détectées car ressortant largement de la population des GB concurrentes. Regardez-les dans un jeu d’échauffement au milieu de leurs coéquipières vous allez comprendre! A l’entrée en pôle, le niveau sur le poste de gardienne est éminemment moins concurrentiel que sur les autres postes et nos clubs d’élites ont plus de mal à se fournir. Je ne peux me résoudre à ce constat, car au-delà du renouvellement de l’élite, les joueuses de champ qui vont s’entraîner dans nos pôles contre des gardiennes à profil peu évolutif sont lésées elles aussi ! Notre représentation collective doit donc évoluer.
L’idée est simple en Intercomités et mériterait une déclinaison en Territoires…si on a une gardienne à profil, on lui donne la possibilité de se développer au niveau moteur, en allant courir-sauter-lancer jusqu’au moment où son cadre et elles vont estimer qu’elle préfère se fixer dans la cage mais avec un bagage moteur enrichi. Si elle n’en a pas envie on le fait avec une autre joueuse de champ sur une mi-temps. Si on n’a pas de réel profil GB, la préconisation permet à des joueuses à profil moteur et morphologique intéressant de découvrir le poste, en sachant qu’on ne va pas les y placer de manière définitive. Elles s’y essaient et souvent on s’aperçoit bien entendu qu’elles sont immédiatement plus performantes que les « spécialistes ». A minima cela enrichira leur culture de joueuse de champ dans le duel tireuse-gardienne par une meilleure compréhension du champ des possibles adverses, et dans le meilleur des cas on génère une vocation, dans une temporalité librement choisie. Il y a tout à y gagner et pour tous!
Est-il possible d'avoir déjà un retour sur cette expérience, une idée de ce qu'elle apporte ?
L’expérience menée depuis 1 an et demi commence à donner ses premiers fruits et des jeunes filles à profil très intéressants ont déjà intégré les sites d’accession de certains de nos pôles grâce à ce dispositif. Je souhaite que nos sites d’Accession offre cette possibilité éventuelle de double cursus de formation. En excellence évidemment, cela parait moins opportun. Comme toutes les idées un peu novatrices, il y a encore une forte résistance chez certains cadres qui voient leurs habitudes de fonctionnement changer, mais le temps va faire son œuvre et je sais que l’idée va continuer à gagner du terrain car les cadres qui ont investi dessus en ont été bénéficiaires tant en Intercomités que dans les Ligues. Ils vont faire école, j’ai confiance. L’idéal bien sûr serait de voir cette pratique se généraliser dans les clubs via les Comités.