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Quand le handball sourds cherche sa voie...

France

mardi 30 novembre 2021 - © Yves Michel

 6 min 32 de lecture

Ils représentent à peine une centaine de licenciés mais veulent occuper la moitié du strapontin qui leur est accordée. En France, des joueurs de handball pratiquent un championnat aux normes bien particulières puisque ils sont sourds ou malentendants. Gérés par la Fédération Handisports et non par la FFHB, leur manque de reconnaissance et donc de visibilité est flagrant. C’est aussi un frein majeur à leur progression.

L’ambiance est évidemment particulière et la salle résonne différemment. Il y a bien quelques bruits familiers, celui du ballon qui rebondit ou les semelles des chaussures de sport qui crissent sur le parquet, les règles et la durée de deux mi-temps de 30 minutes qui restent les mêmes, sept joueurs de chaque côté mais la comparaison s’arrête là. Ce samedi après-midi, le gymnase du centre Alban Minville à Toulouse accueille un match de championnat de France de handball (pour) sourds entre le club local, l’AS Tolosa et Limoges. 

Les arbitres qui eux ont l’usage de l’ouïe et de la parole ont laissé leur sifflet au vestiaire. Au bout des doigts, un morceau de tissu qu’ils lèvent au gré des circonstances. Le handball pratiqué n’a rien à envier à un match de Nationale et pourtant… « Nous ne dépendons pas de la Fédération Française de Handball mais plutôt de la Fédération Handisports, regrette Julien Goy, ailier gauche de Limoges mais aussi le directeur sportif de l’équipe de France. Comme le Handfauteuil, on aurait aimé être rattaché à la FFHB, des négociations ont été entamées mais le dossier n’avance pas. » Du coup, dans les quelques clubs qui participent à la compétition nationale (à peine six cette saison, ils étaient 7 avant Covid), c’est le système D qui rythme le quotidien. Chacun fonctionne à sa façon. A Limoges qui est au hand sourds et toutes proportions gardées, ce que le PSG est à la Starligue, un partenariat a été trouvé avec le CAPO dont l’équipe fanion évolue en Nationale 3 masculine. A Toulouse, c’est le combat de tous les instants, le seul créneau d’entraînement est programmé le dimanche soir et la municipalité traîne les pieds pour améliorer la situation. « Evoluer avec des entendants, cela change tout, insiste Julien Goy. Au niveau de la pratique, des automatismes mais aussi de la formation qui n’existe pas chez nous. Des joueurs arrivent à avoir une double licence et certains ne s’en sortent pas trop mal. » Le jeu pratiqué est plaisant et à chaque but inscrit, la joie est communicative. « Tout est basé sur le visuel (l’expression des mains est importante), en fait, les yeux remplacent les oreilles. Un sourd a un champ de vision plus développé qu’un autre. Chaque équipe a travaillé ses propres codes à l’entraînement et les utilise sur le terrain. C’est aussi à celui qui sera le plus concentré. » Les pionniers sont à l’œuvre et pour certains, il s’agit d’un vrai sacerdoce. A Toulouse, Thomas Gleizes un "entendant" dont une grande partie de la famille est sourde, se dépense sans compter. Quand il n’est pas en train de s’occuper des jeunes du club d’Aucamville (banlieue nord-est de la ville rose) ou former des arbitres, il entraîne et coache le Tolosa. « C’est une expérience unique mais avant tout une passion. Je gère cette équipe des sourds depuis cette saison. Quand on m’a fait cette proposition, je me suis senti investi d’une mission. Je baignais dedans puisque je communique avec mes propres parents grâce à la langue des signes. Je jongle entre les deux univers et à vrai dire, je ne fais aucun distingo. Le hand est le dénominateur commun, j’adapte avec le Tolosa, les tactiques élaborées dans mon club où s’expriment les entendants. » Ce samedi, on ne retiendra pas le score puisque le rouleau compresseur des Limougeauds a dominé la rencontre et les hôtes hauts-garonnais ont mesuré la distance qu’ils avaient à parcourir pour les égaler (10-40 pour les Hauts-Viennois). 



Ce n’est pas un hasard si au sein de la formation championne de France, figurent plusieurs éléments du groupe France. Le demi-centre Bryan Brûlé (22 ans) ou l'arrière Anthony Bagrowski (notre photo ci-dessus) ont un réel potentiel. Le longiligne gaucher de 21 ans est à l'aise sur tous les terrains puisque tout petit, il a commencé au club de Ramonville (près de Toulouse) puis a goûté à la Pré-Nat à Lyon-Bron avant d'arriver à Limoges pour ses études. Avec cette jeunesse émergeante, l'équipe tricolore a quelques ambitions. « Là aussi, c’est tout nouveau, souligne Julien Goy. L’été dernier, on a participé en Croatie, au 1er Euro de notre jeune histoire. On a vécu d’excellents moments même si en face, toutes les nations qu’on a affrontées, étaient mieux armées. Les nations des Balkans mais aussi nordiques, sont plus fortes. Tout simplement parce qu’elles ont pris de l’avance et dans ces pays, beaucoup de joueurs sourds sont intégrés avec les entendants. » Avec une médiatisation quasi inexistante, le handball sourds manque de moyens certes (puisque le sport sourds en général n’est pas reconnu par l’Etat et donc le ministère) mais aussi a du mal à recruter parmi les siens. Et ce malgré un effort particulier via les réseaux sociaux. « Notre communauté est petite mais en plus comme partout, c’est le foot qui rafle la mise ! On compte beaucoup sur le "bouche à oreille" (sic) entre copains. Pour assurer notre promotion, on essaie d’organiser les stages et les matches amicaux du groupe France, un peu partout dans le pays. On espère susciter des vocations. » Si les Jeux Paralympiques ne les accueillent pas, les sourds à travers la planète ont créé leur propre compétition. Les "Deaflympics" (les JO pour sourds). Mais la France cultive un paradoxe. Alors que cette épreuve qui existe depuis 1924, est à l’initiative d’un Français, Eugène Ruben-Alcais, le handball ne participera pas à la prochaine édition prévue en mai 2022 au Brésil. « La Fédération française handisports a du faire un choix. Essentiellement financier. Le budget est insuffisant pour que toutes les disciplines soient représentées. Le foot, le tennis, le judo, l’athlétisme y seront, pas nous. C’est dur à accepter mais il faut rester positif. Notre objectif, c’est participer dans moins de deux ans, au championnat du Monde au Danemark. » Et de Toulouse à Limoges en passant par Poitiers ou Lyon, le handball sourds entend se développer et surtout montrer qu’il existe et que ceux qui le pratiquent ne doivent nourrir aucun complexe. Un peu mieux considérés, ils seraient tout simplement, un peu plus comblés. 

 
Les singularités du handball sourds 
 

L’histoire raconte que le handball sourds est né au Danemark. Alors que le ballon, la durée des rencontres, les règles et les dimensions du terrain sont identiques au hand pratiqué par Nikola Karabatic, Ludovic Fabrégas ou Valentin Porte, la discipline est adaptée à la pratique des personnes sourdes et malentendantes. 

Pour les arbitres qui appartiennent à l’univers des entendants, le sifflet est superflu. A la place, ils brandissent au choix un drapeau, un bout de tissu ou même un maillot pour sanctionner une faute ou ordonner la reprise du jeu. Ils communiquent par gestes et miment certaines situations. 

Pour le joueur, le port d’un appareil auditif est bien entendu proscrit et il ne peut être intégré à une équipe de sourds que si la perte auditive sur sa meilleure oreille est supérieure à 55 décibels. 

 
Les clubs du championnat de France 
 

Le recensement au niveau des licenciés est très complexe à réaliser. Entre 130 et 150 avant le Covid. Six équipes disputent le championnat de France. 

 
Le SSS Limoges
l’ASS Lyon 
le CSS Nantes 
le CSSM Paris
le CSS Poitiers 
l’AS Tolosa
 
Deux équipes féminines avaient réussi à exister mais la pandémie est passée par là et tout est à refaire. 
 

Pour plus de renseignements : www.handballsourds.fr

 

Quand le handball sourds cherche sa voie... 

France

mardi 30 novembre 2021 - © Yves Michel

 6 min 32 de lecture

Ils représentent à peine une centaine de licenciés mais veulent occuper la moitié du strapontin qui leur est accordée. En France, des joueurs de handball pratiquent un championnat aux normes bien particulières puisque ils sont sourds ou malentendants. Gérés par la Fédération Handisports et non par la FFHB, leur manque de reconnaissance et donc de visibilité est flagrant. C’est aussi un frein majeur à leur progression.

L’ambiance est évidemment particulière et la salle résonne différemment. Il y a bien quelques bruits familiers, celui du ballon qui rebondit ou les semelles des chaussures de sport qui crissent sur le parquet, les règles et la durée de deux mi-temps de 30 minutes qui restent les mêmes, sept joueurs de chaque côté mais la comparaison s’arrête là. Ce samedi après-midi, le gymnase du centre Alban Minville à Toulouse accueille un match de championnat de France de handball (pour) sourds entre le club local, l’AS Tolosa et Limoges. 

Les arbitres qui eux ont l’usage de l’ouïe et de la parole ont laissé leur sifflet au vestiaire. Au bout des doigts, un morceau de tissu qu’ils lèvent au gré des circonstances. Le handball pratiqué n’a rien à envier à un match de Nationale et pourtant… « Nous ne dépendons pas de la Fédération Française de Handball mais plutôt de la Fédération Handisports, regrette Julien Goy, ailier gauche de Limoges mais aussi le directeur sportif de l’équipe de France. Comme le Handfauteuil, on aurait aimé être rattaché à la FFHB, des négociations ont été entamées mais le dossier n’avance pas. » Du coup, dans les quelques clubs qui participent à la compétition nationale (à peine six cette saison, ils étaient 7 avant Covid), c’est le système D qui rythme le quotidien. Chacun fonctionne à sa façon. A Limoges qui est au hand sourds et toutes proportions gardées, ce que le PSG est à la Starligue, un partenariat a été trouvé avec le CAPO dont l’équipe fanion évolue en Nationale 3 masculine. A Toulouse, c’est le combat de tous les instants, le seul créneau d’entraînement est programmé le dimanche soir et la municipalité traîne les pieds pour améliorer la situation. « Evoluer avec des entendants, cela change tout, insiste Julien Goy. Au niveau de la pratique, des automatismes mais aussi de la formation qui n’existe pas chez nous. Des joueurs arrivent à avoir une double licence et certains ne s’en sortent pas trop mal. » Le jeu pratiqué est plaisant et à chaque but inscrit, la joie est communicative. « Tout est basé sur le visuel (l’expression des mains est importante), en fait, les yeux remplacent les oreilles. Un sourd a un champ de vision plus développé qu’un autre. Chaque équipe a travaillé ses propres codes à l’entraînement et les utilise sur le terrain. C’est aussi à celui qui sera le plus concentré. » Les pionniers sont à l’œuvre et pour certains, il s’agit d’un vrai sacerdoce. A Toulouse, Thomas Gleizes un "entendant" dont une grande partie de la famille est sourde, se dépense sans compter. Quand il n’est pas en train de s’occuper des jeunes du club d’Aucamville (banlieue nord-est de la ville rose) ou former des arbitres, il entraîne et coache le Tolosa. « C’est une expérience unique mais avant tout une passion. Je gère cette équipe des sourds depuis cette saison. Quand on m’a fait cette proposition, je me suis senti investi d’une mission. Je baignais dedans puisque je communique avec mes propres parents grâce à la langue des signes. Je jongle entre les deux univers et à vrai dire, je ne fais aucun distingo. Le hand est le dénominateur commun, j’adapte avec le Tolosa, les tactiques élaborées dans mon club où s’expriment les entendants. » Ce samedi, on ne retiendra pas le score puisque le rouleau compresseur des Limougeauds a dominé la rencontre et les hôtes hauts-garonnais ont mesuré la distance qu’ils avaient à parcourir pour les égaler (10-40 pour les Hauts-Viennois). 



Ce n’est pas un hasard si au sein de la formation championne de France, figurent plusieurs éléments du groupe France. Le demi-centre Bryan Brûlé (22 ans) ou l'arrière Anthony Bagrowski (notre photo ci-dessus) ont un réel potentiel. Le longiligne gaucher de 21 ans est à l'aise sur tous les terrains puisque tout petit, il a commencé au club de Ramonville (près de Toulouse) puis a goûté à la Pré-Nat à Lyon-Bron avant d'arriver à Limoges pour ses études. Avec cette jeunesse émergeante, l'équipe tricolore a quelques ambitions. « Là aussi, c’est tout nouveau, souligne Julien Goy. L’été dernier, on a participé en Croatie, au 1er Euro de notre jeune histoire. On a vécu d’excellents moments même si en face, toutes les nations qu’on a affrontées, étaient mieux armées. Les nations des Balkans mais aussi nordiques, sont plus fortes. Tout simplement parce qu’elles ont pris de l’avance et dans ces pays, beaucoup de joueurs sourds sont intégrés avec les entendants. » Avec une médiatisation quasi inexistante, le handball sourds manque de moyens certes (puisque le sport sourds en général n’est pas reconnu par l’Etat et donc le ministère) mais aussi a du mal à recruter parmi les siens. Et ce malgré un effort particulier via les réseaux sociaux. « Notre communauté est petite mais en plus comme partout, c’est le foot qui rafle la mise ! On compte beaucoup sur le "bouche à oreille" (sic) entre copains. Pour assurer notre promotion, on essaie d’organiser les stages et les matches amicaux du groupe France, un peu partout dans le pays. On espère susciter des vocations. » Si les Jeux Paralympiques ne les accueillent pas, les sourds à travers la planète ont créé leur propre compétition. Les "Deaflympics" (les JO pour sourds). Mais la France cultive un paradoxe. Alors que cette épreuve qui existe depuis 1924, est à l’initiative d’un Français, Eugène Ruben-Alcais, le handball ne participera pas à la prochaine édition prévue en mai 2022 au Brésil. « La Fédération française handisports a du faire un choix. Essentiellement financier. Le budget est insuffisant pour que toutes les disciplines soient représentées. Le foot, le tennis, le judo, l’athlétisme y seront, pas nous. C’est dur à accepter mais il faut rester positif. Notre objectif, c’est participer dans moins de deux ans, au championnat du Monde au Danemark. » Et de Toulouse à Limoges en passant par Poitiers ou Lyon, le handball sourds entend se développer et surtout montrer qu’il existe et que ceux qui le pratiquent ne doivent nourrir aucun complexe. Un peu mieux considérés, ils seraient tout simplement, un peu plus comblés. 

 
Les singularités du handball sourds 
 

L’histoire raconte que le handball sourds est né au Danemark. Alors que le ballon, la durée des rencontres, les règles et les dimensions du terrain sont identiques au hand pratiqué par Nikola Karabatic, Ludovic Fabrégas ou Valentin Porte, la discipline est adaptée à la pratique des personnes sourdes et malentendantes. 

Pour les arbitres qui appartiennent à l’univers des entendants, le sifflet est superflu. A la place, ils brandissent au choix un drapeau, un bout de tissu ou même un maillot pour sanctionner une faute ou ordonner la reprise du jeu. Ils communiquent par gestes et miment certaines situations. 

Pour le joueur, le port d’un appareil auditif est bien entendu proscrit et il ne peut être intégré à une équipe de sourds que si la perte auditive sur sa meilleure oreille est supérieure à 55 décibels. 

 
Les clubs du championnat de France 
 

Le recensement au niveau des licenciés est très complexe à réaliser. Entre 130 et 150 avant le Covid. Six équipes disputent le championnat de France. 

 
Le SSS Limoges
l’ASS Lyon 
le CSS Nantes 
le CSSM Paris
le CSS Poitiers 
l’AS Tolosa
 
Deux équipes féminines avaient réussi à exister mais la pandémie est passée par là et tout est à refaire. 
 

Pour plus de renseignements : www.handballsourds.fr

 

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