A l'aube de la
saison 2009-2010, les Varoises de Thierry Vincent n'étaient ni
profilées, ni programmées pour devenir championnes de France. Elles
ont pourtant tout renversé sur leur passage en phase finale,
jusqu'au titre. Dix ans plus tard, Marie-Paule Gnabouyou, Nina
Brkljacic et Jacqueline Oliveira racontent comment et pourquoi elles
ont créé la sensation.
Rendons-nous à
l'évidence : au XXIème siècle, les années rondes sont
anticonformistes. Prenez 2010 : au printemps, c'est un volcan
islandais qui paralysait la planète, et une certaine grève de bus
en Afrique du Sud qui faisait jaser... La balle collante a bien
essayé de rester dans la norme de l'époque, avec le deuxième titre
de champion d'Europe des Bleus, et un triplé montpelliérain dans
les compétitions nationales masculines. Mais il s'est trouvé une
quinzaine de Varoises assez téméraires, culottées, pour renverser
l'ordre établi. La première saison des play-offs contemporains de
la Ligue féminine a sacré... Toulon/Saint-Cyr, cinquième de la
saison régulière avec neuf défaites. Une rupture spectaculaire
dans le duopole Besançon / Metz, au pouvoir non-stop depuis... 1993.
La plus grosse surprise de l'ère moderne, si ce n'est de l'histoire,
de l'élite féminine.

Marie Paule Gnabouyou comme Toulon au dessus du Havre
Une décennie plus tard,
Marie-Paule Gnabouyou en rigole encore. « Ca fait partie de mes
meilleurs souvenirs », rayonne l'arrière droit internationale. «
C'était le paradis », s'exclame Jacqueline Oliveira, la gardienne
brésilienne. « Personne ne nous attendait là, même nous », enchérit
Nina Brkljacic. Il est vrai qu'en début d'exercice, fin août 2009,
l'ensemble varois et ses neuf recrues avaient des préoccupations aux
antipodes de la course au titre. « Ce qu'on voulait, c'était
titiller les meilleures équipes, être dans les play-offs », soit
dans le Top 6, rembobine la première citée.
« Personne ne nous attendait là, même nous »
Le démarrage, cahoteux
(trois revers lors des quatre premières journées), laissait peu de
place à des perspectives plus alléchantes. « On a mis un peu de
temps à se connaître, à avoir des affinités », commente
l'actuelle demi-centre de Chambray-les-Tours. « On jouait match par
match, précise Gnabouyou. On s'impressionnait dans certains matches
(rires), on était plus en dedans dans d'autres. Ce qui laissait
présager qu'on pouvait le faire, c'est qu'on avait toutes une marge
de progression. »

Christiane Mwasesa tout en percussion face à Metz
Sur le terrain, en
dehors, la complicité est allée croissant, stabilisant la position
en milieu de tableau et le collectif. « On avait un sept de base
très fort. Christiane (Mwasesa, l'arrière gauche congolaise), Paula (Bredou-Gondo
au pivot) et Pearl (Van der Wissel, la stratège néerlandaise), c'est le trio
qui nous a mené à la victoire, décrit Nina Brkljacic. A l'aile,
Siraba (Dembélé, vice-championne du monde en Chine en décembre 2009) était déjà très forte. Alexandra Bettacchini
(28 arrêts sur les deux manches de la finale) avait fait l'une de ses meilleures saisons, et à l'aile droite,
Manon Le Bihan est sortie du lot. »
Un épisode plus confidentiel
a aussi aiguillé Toulon vers la première de ses trois glorieuses,
avant le doublé en Coupe de France (2011, 12), assorties de six rencontres de
Ligue des Champions à l'automne 2010. « On a perdu un match à
la maison, à Vert Coteau à l'époque, confie la benjamine d'alors.
C'était un moment difficile. Il y a eu des larmes dans le vestiaire,
beaucoup de choses sont sorties. Notre force a été de se dire les
choses à ce moment-là, ce soir-là. J'étais jeune (18 ans), je
n'avais jamais vu ça dans un vestiaire, ça m'a marqué. Ca nous a
donné une force incroyable derrière. Tout le monde s'est remis au
travail deux fois plus fort... »

Siraba Dembélé apportait toute sa percussion et sa vitesse au groupe
« On avait toutes cette folie »
Dans un sens, au
printemps, Nîmes (éliminé en quart de finale), Metz (en demie) et
Le Havre ont payé la franchise. Sur un mode opératoire invariable :
le débours concédé à l'aller, au Palais des Sports, ne se
rattrape jamais l'heure suivante. « On a abordé chaque match comme
si c'était le dernier, situe Marie-Paule Gnabouyou. Surtout, on
n'était pas pas favorites. On n'avait rien à perdre, tout à
gagner. » Délestées de toute pancarte encombrante, les outsiders
de la rade ont ainsi fait couler le champagne présidentiel à flots
sur le parquet mosellan. La fin de règne des sextuples tenantes du
titre était avancée (18-20 et 29-29), les sceptiques ont commencé à réviser leur jugement. « J'en ai encore les larmes
aux yeux, avoue Oliveira. Quand j'ai vu les Arènes silencieuses,
j'étais sûre qu'on allait être championnes. On avait tellement
confiance en nous que rien ne pouvait nous arriver. »

Jacqueline Oliveira et Toulon rendent aphones Metz et ses Arênes
Pas même de voir l'excès
d'optimisme revenir à la figure façon boomerang... Le dimanche 16
mai 2010, le coup de folie toulonnais est effectivement allé à son
terme, sur un nouveau match nul en Seine-Maritime (25-25, 27-22 huit jours plus
tôt). « Le Havre était l'éternel second derrière Metz, a dû se
dire que cette année-là serait la sienne, contextualise Brkljacic.
Elles avaient la pression de perdre. Nous, c'était déjà incroyable
d'être en finale. On a joué relâchées, on s'est fait plaisir, et
on est allées chercher le titre. » « Un accomplissement » pour
Gnabouyou. Qui, comme toute sa « bande de copines », en a beaucoup
mieux jaugé la portée le lendemain, en rentrant du Havre. «
C'était énorme. Tout le monde était mobilisé, nous attendait à
la gare de Toulon. Le maire, les familles étaient fiers. »
Emportée par la foule effervescente, tel le RCT (période Boudjellal-Laporte) fêtant son Brennus et ses H-Cups, Jacqueline Oliveira s'est
probablement revue, un an en arrière, en conversation avec Jorge
Duenas, son précédent entraîneur au Pays basque. « Quand je lui
ai dit que je partais en France, il m'a répondu ne pas penser que la
France était faite pour moi, glisse celle qui prolonge sa carrière
à Noisy-le-Grand (N1), après une escale à Chambray. J'avais signé
pour un an à Toulon, je suis restée six ans. On était une famille,
on aimait être ensemble. On avait toutes cette folie. » La folie caractéristique des années « zéro », on vous dit…

La joie finale au niveau de la surprise
Le compte-rendu de la finale retour Le Havre - Nimes